Madame, Monsieur,
Pour les rencontres des 20, 21, 22 janvier 2011
l’intitulé est :
Repenser le développement : la société civile s’engage.
Mais le comité d’organisation semble avoir oublié les associations et les personnalités qui travaillent depuis parfois plus de trente années à « repenser le développement ».
Plusieurs auteurs ont publié à ce sujet dès les années 80 :
François Partant = La fin du développement
Serge Latouche = Faut-il arrêter le développement ?
Marie Dominique Perrot, Fabrizzio Sabelli, Gilbert Rist = Il était une fois le développement.
La revue de Montréal « Interculture » est pionnière en ce domaine, comme l’université IUED de Genève.
Les Presses de Science Po Paris publieront en 1996 (plusieurs rééditions) de Gilbert Rist « Le développement : histoire d’une croyance occidentale ».
Toutes ces personnes seront impliquées dans le colloque de février 2002 à l’ Unesco « Défaire le développement, refaire le monde », dont les actes sont parus aux éditions Parangon, qui possède une collection spécifique consacrée à l’« après-développement ».
On verra pour la dernière fois Ivan Illich, à ce colloque…
L’association « La Ligne d’Horizon-Les Amis de François Partant » est spécialisée dans la réflexion sur la notion de développement.
Dès le n° 100 de la revue Tiers-Monde, Serge Latouche a souligné le caractère oxymoresque de l’expression « développement durable ».
Le géographe Denis Chartier a publié dans « Ecologie et politique » numéro 29 une histoire critique de l’expression « développement durable ».
Fabrizzio Sabelli et Susan George dans « Crédits sans frontières, la religion de la banque mondiale » révèleront le rôle du PDG de Ontario Hydro Maurice Strong dans le détournement du concept issu de WWF et IUCN en 1980, celui de « Sustainable Development » Dès 1983, le but étant d’introduire la préoccupation du « développement » dans les sommets de l’ONU sur l’environnement, préoccupation issue des suites du Premier Sommet Mondial sur l’ Environnement à Stockholm en 1972, sommet qui engendrera une première tentative pour ajouter la notion de « développement » aux préoccupations environnementales, telles qu’elles étaient apparues la première fois au colloque internationale à l’Unesco en septembre 1968, consacré à la situation déjà jugée alarmante de la Biosphère, ajout qui apparaîtra avec le concept d’« écodéveloppement » que tentera d’introduire Ignacy Sachs.
Le concept de « développement /sous développement » avait été, lui, lancé en janvier 1949 par le président des USA Harry Truman, pour remplacer d’une façon « langue-de-bois » le mot de plus en plus mal vu de « colonisation ». Dès la réunion de 1943 aux USA pour préparer celle de Bretton Woods aux origines de la Banque Mondiale, du F.M.I. et du GATT (ancêtre de l’O.M.C.), les USA s’inquiétaient du manque de débouchés qui découleraient de la fin de la Seconde guerre mondiale : il fallait que l’industrie des USA tournant alors à plein régime pour cause de guerre trouve de nouveaux débouchés une fois la paix revenue. Il fut alors imaginé de prendre la place des empires coloniaux français et anglais dont on pouvait déjà prévoir l’affaiblissement, mais sans passer pour des nouveaux colonisateurs. Le mot « développement » remplira cet office : pratiquer la colonisation mais sans en avoir l’air ! Mieux, passer pour progressiste en soutenant les mouvements de décolonisation, tout en se substituant aux anciens colonisateurs en se positionnant économiquement au prétexte apparemment généreux d’apporter le « développement ». Et aussi concurrencer l’URSS qui risquerait aussi de tenter de placer ses billes…
Jacques Grinevald, de l’IUED, montrera dans plusieurs articles dont un de la revue L’Ecologiste, comment la notion de « développement », suite aux pressions de Maurice Strong, bientôt aidé par le PDG Stéphan Schmidheiny (amiante), et leur Business Council of Sustainable Development (juin 1992, Rio), remplacera finalement celle d’« environnement » du Sommet de Stockholm à celui de Johannesburg en 2002… En trente années de ce méthodique stratagème conçu par le milieu des chefs d’entreprises, on sera passé du Sommet de l’Environnement au Sommet du Développement Durable, en passant par le Sommet de Rio qui lui s’intitulait « le Sommet de l’environnement et du développement »… conformément au complot initié en 1983 : la demande de Maurice Strong de créer une Commission « Environnement et Développement » dans le cadre de l’ONU, en vue de préparer 20 ans après Stockholm le Sommet de Rio. Maurice Strong nommera Gro Harlem Brundtland, ministre norvégienne, à la tête de cette commission…
On fera croire aux journalistes que cette ministre définira dans son rapport de 1987 « Notre avenir à tous » le sens de l’expression « Sustainable Development », alors que cette expression avait déjà été définie par ses inventeurs en 1980, les associations de protection de la nature IUCN et WWF.
Les biologistes Roger Heim, Rachel Carson et Jean Dorst avaient tiré la sonnette d’alarme dans les années 1960. En 1965 aux USA paraît un article sur « L’Ecologie, cette science subversive ». L’Unesco lance son programme de recherche « Man and Biosphere » en 1968. 1970 sera décrétée « Année européenne de la nature » et l’ONU réunira tous les biologistes à Stockholm en 1972, pour qu’ils alertent les 180 nations du monde convoquées sur les graves problèmes de pollution et de destruction des écosystèmes, cause de la disparition définitive d’espèces animales et végétales. Nombre de Campus aux USA sont en effervescence depuis le début des années 60. La Société de Consommation est remise en question : avoir plus ne rend pas plus heureux (Paul Goodman « Growing up absurd », et les écrits de Marcuse). Le mouvement hippie critique la Société Industrielle.
Surprise : à Stockholm les États du Tiers-Monde prennent très mal cette critique de l’industrialisation : « On veut nous empêcher de nous développer ! La protection de la nature est un luxe de riches ! »
C’est alors que les courants occidentaux soucieux de protéger la Biosphère imagineront la stratégie du « tout en » : rhétorique d’équilibriste qui tente de faire tout et son contraire, pour ne mécontenter personne : protéger la nature tout enfavorisant le développement. Ainsi naîtront les concepts boiteux, ambigus, d’ « écodéveloppement » (comprendre « développement écologique ») et de « sustainable developpement » comprendre continuer à développer l’économie « tout en » essayant de rendre ce développement pas trop destructeur, donc compatible à long terme avec la pérennisation des écosystèmes sauvages, c’est à dire l’équilibre écologique . Gestion prudente et parcimonieuse des ressources de la planète, en limitant les pollutions et le pillage des ressources non renouvelables. Langage diplomatique, alambiqué, typiquement « langue de bois » pour faire admettre la prudence écologique aux nations qui rêvent de vite s’industrialiser pour rattraper ce qu’elles appellent un « retard ». Ce langage diplomatique a été vu comme une nécessité après le traumatisme de Stockholm essuyé par les ONG conservationistes. D’où leur choix de créer volontairement en 1980 une expression mi-figue, mi-raisin, pour ménager la chèvre et le chou.
A partir de l’ouvrage pionnier de F. Fanon « Peau noire, masques blancs » apparaîtront des ouvrages déconstruisant le syndrome mimétique des jeunes nations nouvellement décolonisées et convaincues de croire au « développement ».
Le développementisme" est de plus en plus dénoncé :
L’iranien Majjid Rahnema a publié chez Fayard-Actes Sud , récemment, deux ouvrages majeurs sur la remise en cause des notions de pauvreté et de développement, et sera le premier à parler de la nécessité de « décoloniser notre imaginaire »…
Aussi suis-je consterné de constater que pour ces trois journées censées consacrées à « repenser le développement »
vous n’invitez aucunes des personnes compétentes dans ce domaine !
En particulier, nulle trace de l’association « la Ligne d’ horizon »,
et l’absence notoire de
Serge Latouche,
Gilbert Rist,
et de Majjid Rahnema….
Autre grave absence, celle de la linguiste Françoise Dufour, auteur d’une thèse (Montpellier), sur la notion de développement", publiée à l’ Harmattan en 2010…
Il y a aussi la revue ENTROPIA = /www.entropia-la-revue.org>
qui est la revue de travail de toutes les personnes qui souhaitent « repenser le développement ».
Ils organisent un colloque à Paris, 75002, rue Léopold Bellan, salle Jean Dame, près de la rue piétonne Montorgueil le samedi 18 décembre 2010 de 14H à 17H30.
Ceci peut être une occasion pour vous de rencontrer plusieurs des auteurs des écrits sur le développement, mentionnés ci-dessus.
L’association « La Ligne d’horizon-les Amis de François Partant »
adresse = /www.lalignedhorizon.org>
siège en région parisienne =secrétariat = Silvia Perez-Vitoria, auteur de plusieurs livres sur les paysans.
« La ligne d’horizon » est aussi le titre d’un des derniers livres du banquier et tiers-mondiste François Partant…
Pour ce qui est du « développement durable », il s’agit de la pire des façons de traduire « sustainable development ».
Au début des années 90 on préférait traduire par « développement soutenable » ou « développement supportable », ou encore par « développement écologiquement pérennisable ».
Personnellement, je préfère « développement sustentable ».
Mais de toute façon cela n’enlève rien au fait que toutes ces expressions sont paradoxales car tout ce qui se développe ne peut par définition être « durable ». Seule la stabilité, ou stade adulte, peut être « sustainable », compatible avec les données écologiques. Finalement, peu importe la traduction de « sustainable », cela ne sert qu’à décorer le « développement » avec un adjectif qualificatif pour mieux le faire accepter. Et cet adjectif ne sera qu’un oxymore. Inutile de prétendre adoucir le concept de « développement » en ajoutant « humain », « social », équitable« . Le développement reste le développement : un processus de déstructuration de la stabilité traditionnelle, une destruction de l’ancienne autonomie économique qui pourtant amenait de façon écologique l’auto-suffisance alimentaire. Dans »L’occidentalisation du monde« , Serge Latouche cite un économiste des années 1960 expliquant que pour introduire le développement, il faut d’abord »amener le malheur". Car explique ce stratège, tant que les gens sont heureux, ils n’ont hélas pas besoin de notre mode de vie !
Le problème fondamental reste que la continuation du développement économique initié par les occidentaux est de toute façon une impasse : cela doit s’arrêter d’une façon ou d’une autre !!!
Le développement n’est donc pas durable, quelque soit la manière dont on peut s’y prendre.
Comme dit le prix Nobel d’économie Kenneth Boulding : « pour croire qu’un développement infini est possible dans un monde fini, il faut être soit un fou soit un économiste ! »
Il est plus utile de commencer à réfléchir à l’ « après développement » !
Personnellement je tente de faire oublier le concept de « développement » et de le remplacer par celui d’ « enveloppement ».
Bonne surprise : Edgar Morin, depuis début 2010, est lui aussi en faveur du concept d’« enveloppement ».
C’est pour moi l’art d’un mode de vie épanouissant , sobre et volontairement frugal, conquis grâce à la plénitude de la sagesse. Il en résulte une façon modeste de se comporter à la surface de la Terre, façon « sustentable », en anglais « sustainable » de vivre tranquillement, loin des appétits de puissance et de richesse qui furent à l’origine du phénomène écologiquement suicidaire de développement, cette soif pathologique et inextinguible du toujours plus.
La frime ostentatoire des riches qui se croient des modèles pour le reste de leurs concitoyens est cette maladie dont il faut débarrasser l’humanité. Le vers était déjà dans le fruit lors de l’apparition des premières sociétés inégalitaires, hiérarchisées. Mais à l’époque, il y a plus de 5000 ans par exemple à Sumer, on ne savait pas que la folie du rêve de puissance serait bien plus tard servie par des capacités techniques de plus en plus prométhéennes et suicidaires, jusqu’à se retourner contre l’espèce humaine elle-même en provoquant l’écocide…
Nous ne vivons pas une crise financière.
Il s’agit bien d’une crise anthropologique. Au moins pour les peuples engagés depuis des milliers d’années dans la folie des grandeurs, du côté de la Chine impériale ou de l’Occident. Heureusement, tous les peuples ne sont pas engagés au même rythme dans le réflexe paresseusement mimétique. Il existe même actuellement en Amazonie 95 petits peuples qui continuent à vivre dans leur stabilité millénaire, refusant tous contacts avec ce que les Occidentaux appellent avec orgueil depuis Mirabeau (1752) la « civilisation ». Orgueil de la « civis » : pourquoi admirer cette façon de vivre entassé !
On découvrira peut-être trop tard qu’en termes de bonheur le mode de vie des sylvilisations est supérieur à celui des civilisations.
Peut-être est-il temps de nous réorienter dans une tout autre voie après ces millénaires d’erreurs : la voie de la « sobriété heureuse » comme vient de l’écrire Pierre Rabhi. Réinventer l’art de vivre en petites sociétés à échelle humaine, loin des monstrueuses administrations tatillonnes des sociétés étatiques, l’art de vivre dans la transparence, c’est à dire d’une façon si simple que nous connaissons intimement tout ce que nous manipulons dans la vie quotidienne car tout y est fabriquable artisanalement, donc avec art et douceur, sans polluer, sans odieux travail en usine. Un art de vivre tel que notre nourriture est accessible dans notre environnement immédiat, grâce à une subtile agroécologie dont il faut retrouver les secrets auprès des peuples traditionnels.
De toute façon, il faudra bien se réhabituer à vivre sans engrais, pesticides et tracteurs, car depuis deux ou trois ans la capacité mondiale d’extraction de pétrole plafonne, et elle ne va pas tarder à s’effondrer : demande de plus en plus titanesque de pétrole avec les pratiques mimétiques absurdes des riches chinois : 27 Porsches il y a 4 ans, 6700 maintenant, ces riches qui contaminent l’ensemble de la population et tirent toute la société vers une suicidaire occidentalisation. Explosion du parc automobile en Asie…
Le plus vite nous changerons radicalement de mode de vie, le plus vite sera brisé le miroir mimétique qui hypnotise encore les populations ethnocidées. Elles cesseront alors de se croire « en retard » . Ce sera la fin de la religion du développement.
Il était temps ! Juste avant la destruction mortelle des équilibres écologiques planétaires !
Thierry Sallantin
Lauréat du Concours Général de Géographie, boursier Zellidja, ethnologue.
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