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Table ronde : Le développement durable, une idée dépassée ?

« Les références au développement durable font florès, au point d’en atténuer la radicalité initiale. Dans le même temps, de nombreux arguments sont avancés qui en contestent l’intérêt. Est-ce encore un outil pour l’action associative ? Faut-il au contraire y renoncer pour être en phase avec les évolutions récentes ? »

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6 Messages de forum

  • Table ronde : Le développement durable, une idée dépassée ? 14 décembre 2010 18:38, par Thierry Sallantin

    Madame, Monsieur,

    Pour les rencontres des 20, 21, 22 janvier 2011
    l’intitulé est :
    Repenser le développement : la société civile s’engage.

    Mais le comité d’organisation semble avoir oublié les associations et les personnalités qui travaillent depuis parfois plus de trente années à « repenser le développement ».
    Plusieurs auteurs ont publié à ce sujet dès les années 80 :
    François Partant = La fin du développement
    Serge Latouche = Faut-il arrêter le développement ?
    Marie Dominique Perrot, Fabrizzio Sabelli, Gilbert Rist = Il était une fois le développement.

    La revue de Montréal « Interculture » est pionnière en ce domaine, comme l’université IUED de Genève.

    Les Presses de Science Po Paris publieront en 1996 (plusieurs rééditions) de Gilbert Rist « Le développement : histoire d’une croyance occidentale ».

    Toutes ces personnes seront impliquées dans le colloque de février 2002 à l’ Unesco « Défaire le développement, refaire le monde », dont les actes sont parus aux éditions Parangon, qui possède une collection spécifique consacrée à l’« après-développement ».
    On verra pour la dernière fois Ivan Illich, à ce colloque…

    L’association « La Ligne d’Horizon-Les Amis de François Partant » est spécialisée dans la réflexion sur la notion de développement.

    Dès le n° 100 de la revue Tiers-Monde, Serge Latouche a souligné le caractère oxymoresque de l’expression « développement durable ».
    Le géographe Denis Chartier a publié dans « Ecologie et politique » numéro 29 une histoire critique de l’expression « développement durable ».

    Fabrizzio Sabelli et Susan George dans « Crédits sans frontières, la religion de la banque mondiale » révèleront le rôle du PDG de Ontario Hydro Maurice Strong dans le détournement du concept issu de WWF et IUCN en 1980, celui de « Sustainable Development » Dès 1983, le but étant d’introduire la préoccupation du « développement » dans les sommets de l’ONU sur l’environnement, préoccupation issue des suites du Premier Sommet Mondial sur l’ Environnement à Stockholm en 1972, sommet qui engendrera une première tentative pour ajouter la notion de « développement » aux préoccupations environnementales, telles qu’elles étaient apparues la première fois au colloque internationale à l’Unesco en septembre 1968, consacré à la situation déjà jugée alarmante de la Biosphère, ajout qui apparaîtra avec le concept d’« écodéveloppement » que tentera d’introduire Ignacy Sachs.
    Le concept de « développement /sous développement » avait été, lui, lancé en janvier 1949 par le président des USA Harry Truman, pour remplacer d’une façon « langue-de-bois » le mot de plus en plus mal vu de « colonisation ». Dès la réunion de 1943 aux USA pour préparer celle de Bretton Woods aux origines de la Banque Mondiale, du F.M.I. et du GATT (ancêtre de l’O.M.C.), les USA s’inquiétaient du manque de débouchés qui découleraient de la fin de la Seconde guerre mondiale : il fallait que l’industrie des USA tournant alors à plein régime pour cause de guerre trouve de nouveaux débouchés une fois la paix revenue. Il fut alors imaginé de prendre la place des empires coloniaux français et anglais dont on pouvait déjà prévoir l’affaiblissement, mais sans passer pour des nouveaux colonisateurs. Le mot « développement » remplira cet office : pratiquer la colonisation mais sans en avoir l’air ! Mieux, passer pour progressiste en soutenant les mouvements de décolonisation, tout en se substituant aux anciens colonisateurs en se positionnant économiquement au prétexte apparemment généreux d’apporter le « développement ». Et aussi concurrencer l’URSS qui risquerait aussi de tenter de placer ses billes…

    Jacques Grinevald, de l’IUED, montrera dans plusieurs articles dont un de la revue L’Ecologiste, comment la notion de « développement », suite aux pressions de Maurice Strong, bientôt aidé par le PDG Stéphan Schmidheiny (amiante), et leur Business Council of Sustainable Development (juin 1992, Rio), remplacera finalement celle d’« environnement » du Sommet de Stockholm à celui de Johannesburg en 2002… En trente années de ce méthodique stratagème conçu par le milieu des chefs d’entreprises, on sera passé du Sommet de l’Environnement au Sommet du Développement Durable, en passant par le Sommet de Rio qui lui s’intitulait « le Sommet de l’environnement et du développement »… conformément au complot initié en 1983 : la demande de Maurice Strong de créer une Commission « Environnement et Développement » dans le cadre de l’ONU, en vue de préparer 20 ans après Stockholm le Sommet de Rio. Maurice Strong nommera Gro Harlem Brundtland, ministre norvégienne, à la tête de cette commission…
    On fera croire aux journalistes que cette ministre définira dans son rapport de 1987 « Notre avenir à tous » le sens de l’expression « Sustainable Development », alors que cette expression avait déjà été définie par ses inventeurs en 1980, les associations de protection de la nature IUCN et WWF.

    Les biologistes Roger Heim, Rachel Carson et Jean Dorst avaient tiré la sonnette d’alarme dans les années 1960. En 1965 aux USA paraît un article sur « L’Ecologie, cette science subversive ». L’Unesco lance son programme de recherche « Man and Biosphere » en 1968. 1970 sera décrétée « Année européenne de la nature » et l’ONU réunira tous les biologistes à Stockholm en 1972, pour qu’ils alertent les 180 nations du monde convoquées sur les graves problèmes de pollution et de destruction des écosystèmes, cause de la disparition définitive d’espèces animales et végétales. Nombre de Campus aux USA sont en effervescence depuis le début des années 60. La Société de Consommation est remise en question : avoir plus ne rend pas plus heureux (Paul Goodman « Growing up absurd », et les écrits de Marcuse). Le mouvement hippie critique la Société Industrielle.
    Surprise : à Stockholm les États du Tiers-Monde prennent très mal cette critique de l’industrialisation : « On veut nous empêcher de nous développer ! La protection de la nature est un luxe de riches ! »
    C’est alors que les courants occidentaux soucieux de protéger la Biosphère imagineront la stratégie du « tout en » : rhétorique d’équilibriste qui tente de faire tout et son contraire, pour ne mécontenter personne : protéger la nature tout enfavorisant le développement. Ainsi naîtront les concepts boiteux, ambigus, d’ « écodéveloppement » (comprendre « développement écologique ») et de « sustainable developpement » comprendre continuer à développer l’économie « tout en » essayant de rendre ce développement pas trop destructeur, donc compatible à long terme avec la pérennisation des écosystèmes sauvages, c’est à dire l’équilibre écologique . Gestion prudente et parcimonieuse des ressources de la planète, en limitant les pollutions et le pillage des ressources non renouvelables. Langage diplomatique, alambiqué, typiquement « langue de bois » pour faire admettre la prudence écologique aux nations qui rêvent de vite s’industrialiser pour rattraper ce qu’elles appellent un « retard ». Ce langage diplomatique a été vu comme une nécessité après le traumatisme de Stockholm essuyé par les ONG conservationistes. D’où leur choix de créer volontairement en 1980 une expression mi-figue, mi-raisin, pour ménager la chèvre et le chou.

    A partir de l’ouvrage pionnier de F. Fanon « Peau noire, masques blancs » apparaîtront des ouvrages déconstruisant le syndrome mimétique des jeunes nations nouvellement décolonisées et convaincues de croire au « développement ».
    Le développementisme" est de plus en plus dénoncé :

    L’iranien Majjid Rahnema a publié chez Fayard-Actes Sud , récemment, deux ouvrages majeurs sur la remise en cause des notions de pauvreté et de développement, et sera le premier à parler de la nécessité de « décoloniser notre imaginaire »…

    Aussi suis-je consterné de constater que pour ces trois journées censées consacrées à « repenser le développement »
    vous n’invitez aucunes des personnes compétentes dans ce domaine !

    En particulier, nulle trace de l’association « la Ligne d’ horizon »,
    et l’absence notoire de
    Serge Latouche,
    Gilbert Rist,
    et de Majjid Rahnema….

    Autre grave absence, celle de la linguiste Françoise Dufour, auteur d’une thèse (Montpellier), sur la notion de développement", publiée à l’ Harmattan en 2010…

    Il y a aussi la revue ENTROPIA = /www.entropia-la-revue.org>
    qui est la revue de travail de toutes les personnes qui souhaitent « repenser le développement ».

    Ils organisent un colloque à Paris, 75002, rue Léopold Bellan, salle Jean Dame, près de la rue piétonne Montorgueil le samedi 18 décembre 2010 de 14H à 17H30.

    Ceci peut être une occasion pour vous de rencontrer plusieurs des auteurs des écrits sur le développement, mentionnés ci-dessus.

    L’association « La Ligne d’horizon-les Amis de François Partant »
    adresse = /www.lalignedhorizon.org>
    siège en région parisienne =secrétariat = Silvia Perez-Vitoria, auteur de plusieurs livres sur les paysans.

    « La ligne d’horizon » est aussi le titre d’un des derniers livres du banquier et tiers-mondiste François Partant…

    Pour ce qui est du « développement durable », il s’agit de la pire des façons de traduire « sustainable development ».
    Au début des années 90 on préférait traduire par « développement soutenable » ou « développement supportable », ou encore par « développement écologiquement pérennisable ».
    Personnellement, je préfère « développement sustentable ».
    Mais de toute façon cela n’enlève rien au fait que toutes ces expressions sont paradoxales car tout ce qui se développe ne peut par définition être « durable ». Seule la stabilité, ou stade adulte, peut être « sustainable », compatible avec les données écologiques. Finalement, peu importe la traduction de « sustainable », cela ne sert qu’à décorer le « développement » avec un adjectif qualificatif pour mieux le faire accepter. Et cet adjectif ne sera qu’un oxymore. Inutile de prétendre adoucir le concept de « développement » en ajoutant « humain », « social », équitable« . Le développement reste le développement : un processus de déstructuration de la stabilité traditionnelle, une destruction de l’ancienne autonomie économique qui pourtant amenait de façon écologique l’auto-suffisance alimentaire. Dans »L’occidentalisation du monde« , Serge Latouche cite un économiste des années 1960 expliquant que pour introduire le développement, il faut d’abord »amener le malheur". Car explique ce stratège, tant que les gens sont heureux, ils n’ont hélas pas besoin de notre mode de vie !

    Le problème fondamental reste que la continuation du développement économique initié par les occidentaux est de toute façon une impasse : cela doit s’arrêter d’une façon ou d’une autre !!!
    Le développement n’est donc pas durable, quelque soit la manière dont on peut s’y prendre.
    Comme dit le prix Nobel d’économie Kenneth Boulding : « pour croire qu’un développement infini est possible dans un monde fini, il faut être soit un fou soit un économiste ! »
    Il est plus utile de commencer à réfléchir à l’ « après développement » !

    Personnellement je tente de faire oublier le concept de « développement » et de le remplacer par celui d’ « enveloppement ».
    Bonne surprise : Edgar Morin, depuis début 2010, est lui aussi en faveur du concept d’« enveloppement ».
    C’est pour moi l’art d’un mode de vie épanouissant , sobre et volontairement frugal, conquis grâce à la plénitude de la sagesse. Il en résulte une façon modeste de se comporter à la surface de la Terre, façon « sustentable », en anglais « sustainable » de vivre tranquillement, loin des appétits de puissance et de richesse qui furent à l’origine du phénomène écologiquement suicidaire de développement, cette soif pathologique et inextinguible du toujours plus.
    La frime ostentatoire des riches qui se croient des modèles pour le reste de leurs concitoyens est cette maladie dont il faut débarrasser l’humanité. Le vers était déjà dans le fruit lors de l’apparition des premières sociétés inégalitaires, hiérarchisées. Mais à l’époque, il y a plus de 5000 ans par exemple à Sumer, on ne savait pas que la folie du rêve de puissance serait bien plus tard servie par des capacités techniques de plus en plus prométhéennes et suicidaires, jusqu’à se retourner contre l’espèce humaine elle-même en provoquant l’écocide…

    Nous ne vivons pas une crise financière.
    Il s’agit bien d’une crise anthropologique. Au moins pour les peuples engagés depuis des milliers d’années dans la folie des grandeurs, du côté de la Chine impériale ou de l’Occident. Heureusement, tous les peuples ne sont pas engagés au même rythme dans le réflexe paresseusement mimétique. Il existe même actuellement en Amazonie 95 petits peuples qui continuent à vivre dans leur stabilité millénaire, refusant tous contacts avec ce que les Occidentaux appellent avec orgueil depuis Mirabeau (1752) la « civilisation ». Orgueil de la « civis » : pourquoi admirer cette façon de vivre entassé !
    On découvrira peut-être trop tard qu’en termes de bonheur le mode de vie des sylvilisations est supérieur à celui des civilisations.

    Peut-être est-il temps de nous réorienter dans une tout autre voie après ces millénaires d’erreurs : la voie de la « sobriété heureuse » comme vient de l’écrire Pierre Rabhi. Réinventer l’art de vivre en petites sociétés à échelle humaine, loin des monstrueuses administrations tatillonnes des sociétés étatiques, l’art de vivre dans la transparence, c’est à dire d’une façon si simple que nous connaissons intimement tout ce que nous manipulons dans la vie quotidienne car tout y est fabriquable artisanalement, donc avec art et douceur, sans polluer, sans odieux travail en usine. Un art de vivre tel que notre nourriture est accessible dans notre environnement immédiat, grâce à une subtile agroécologie dont il faut retrouver les secrets auprès des peuples traditionnels.

    De toute façon, il faudra bien se réhabituer à vivre sans engrais, pesticides et tracteurs, car depuis deux ou trois ans la capacité mondiale d’extraction de pétrole plafonne, et elle ne va pas tarder à s’effondrer : demande de plus en plus titanesque de pétrole avec les pratiques mimétiques absurdes des riches chinois : 27 Porsches il y a 4 ans, 6700 maintenant, ces riches qui contaminent l’ensemble de la population et tirent toute la société vers une suicidaire occidentalisation. Explosion du parc automobile en Asie…

    Le plus vite nous changerons radicalement de mode de vie, le plus vite sera brisé le miroir mimétique qui hypnotise encore les populations ethnocidées. Elles cesseront alors de se croire « en retard » . Ce sera la fin de la religion du développement.
    Il était temps ! Juste avant la destruction mortelle des équilibres écologiques planétaires !
    Thierry Sallantin
    Lauréat du Concours Général de Géographie, boursier Zellidja, ethnologue.

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  • Table ronde : Le développement durable, une idée dépassée ? 12 janvier 2011 12:51, par MOMBRUN Michel

    J’apprécie et je partage l’essentiel du propos de Thierry Sallantin, et je voudrais modestement y ajouter que les combats de certains sur les mots et les expressions ne méritent pas d’y consacrer tant de temps et d’énergie. Le temps et l’énergie, la création et l’innovation doivent pouvoir se consacrer maintenant sur l’expérimentation et l’action, avec une vision anticipatrice . « Développement durable » est une traduction peu satisfaisante pour l’esprit, certes, mais rien n’empêche d’y mettre du sens, du contenu et des valeurs, en les faisant concrètement vivre dans l’expérimentation et les actions, et rien n’interdit de reprendre les idées et concepts forts qui ont abouti au sommet de Rio en juin 1992.
    Pour ma part j’ai utilisé depuis bientôt 15 ans l’expression complémentaire « Vers un développement responsable et solidaire pour construire un futur désirable » . Cela ne me satisfait non plus, mais j’ai vérifié que cela parle aux gens et je suis heureux que le terme désirable ait été assez souvent repris.
    Quels mots et quelle vision pour intéresser et mobiliser les jeunes et les exclus entre autres ? abandonner l’ expression « développement durable » a ceux qui ont contribué à en faire une « peau de chagrin » ? non certes pas ! tant de militants y ont mis leur compétences, leurs idées, leur engagement et leur espoir ! le mot nous appartient. S’accrocher à l’expression sans évoluer n’est pas une solution non plus, alors qu’il y a tant d’expériences et d’actions , qui ont pris des mots nouveaux pour les dire.
    Le développement durable est riche de sa diversité d’approches et de pratiques, c’est toujours un concept en formation, pas du tout dépassé mais qui a besoin d’un dépassement, qui a besoin de remobiliser la conviction des professionnels, des bénévoles et des politiques, et qui a besoin de renforcer son inscription dans le triptyque énoncé par Patrick Viveret : La résistance créative - la vision anticipatrice - l’expérimentation sociale.
    Le développement durable peut rester un concept mobilisateur s’il parvient à se traduire par des actions qui « parlent », qui intéressent les différends publics, qui innove et ose dans des démarches sur des thèmes qui concernent directement la vie des gens.Dans l’association « SoliCités » dont je suis le fondateur et le président bénévole à temps plein, nous avons engagé une action sur la « précarité énergétique » en direction des familles en difficulté, pour illustrer concrètement la définition « officielle » complète du développement durable : « Répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs popres besoins ; deux concepts sont dans cette notion de besoin. Premièrement la réponse aux besoins des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande des priorités, …/… » On l’a bien mise aux oubliettes cette fin de phrase ! pas nous, car cela donne du sens à notre action de développement durable en direction de ces familles en difficulté, avec qui nous ne travaillons ni sur le développement durable , ni sur la précarité, mais sur « l’écologie sociale et familiale » . Le constat de précarité nous amène à agir sur le champ social, économique, écologique et citoyen. Tiens ? les 4 piliers du développement durable !…
    Bien d’autres exemples existent. Ce forum nous permettra sans doute d’échanger.

    Michel Mombrun
    Président de SoliCités

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    • Bonjour,
      Notre Cabinet www.gmcconseils.com vient de publier un important article publié par l’Université de Paris 1 Ci dessous
      FAUT-IL REPENSER LA NOTION DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL ? LE NOUVEAU CONCEPT DE DEVELOPPEMENT RECENTRE SUR L’HUMAIN (DRH)
      Plus de cinquante années après les indépendances, force est de reconnaitre que les pays africains restent toujours enrôlés dans la spirale d’une recherche de développement économique et sociale à outrance. Sans résultats suffisants concrets, si on retient l’acception du développement telle que vue par l’occident, mais surtout sans même savoir exactement ce qui est recherché à travers cette course folle vers ce progrès dont on ne cerne pas encore les contours.
      Il suffit de faire le tour de nos universités et grandes écoles, de nos campagnes, de nos cercles d’intellectuels, bref de la société toute entière pour reconnaitre que la notion de développement économique et sociale, bien que galvaudée demeure un concept encore flou dans les esprits. Comme un mirage qu’on essaie d’atteindre et qui au fur et à mesure s’éloigne.
      Il apparaît aujourd’hui grand temps que nous africains arrivions à trouver un consensus minium autour de ce concept de développement afin de susciter l’adhésion communautaire sur les objectifs à atteindre.
      A l’école, qu’elle soit située outre atlantique ou au niveau local, nous avons toujours été servis de notions, prêtes à l’emploi comme celles de croissance économique, de démarche stratégique, et plus récemment de défense de l’environnement. Des concepts plus souvent théoriques et intellectuels que concrets et pratiques. Il en ait de même du concept de développement qui est trop généraliste et sans contour précis. Mais au juste c’est quoi le vrai développement économique qu’il nous faut à nous pays africains ? Est-ce l’acception qu’en ont les grands économistes occidentaux que nous nous devons de retenir irrémédiablement ou devons nous en toute indépendance et en tenant compte de nos spécificités culturelles et religieuses nous réapproprier cette notion une fois de plus tant galvaudée. En définissant nos propres critères.
      Il suffit de parcourir la littérature très nourrie pondue par différents cercles économiques pour se rendre compte au moins que la croissance économique n’est pas forcement synonyme de développement économique et social. La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services marchands dans une économie sur une période donnée, généralement une période longue. Compte tenu des incertitudes notées dans son système de mesure (fiabilité insuffisante des statistiques) , du fait qu’elle est dans bien des cas mal répartie entre les populations, et qu’elle est souvent insuffisante, et en tenant compte d’une forte croissance démographique, les pays africains ne devraient pas seulement compter sur cette notion pour confirmer leur certitude qu’ils sont dans la bonne direction.
      Pour l’économiste Français François PERROUX, le développement est « une combinaison des changements mentaux et sociaux d’une société qui la rendent apte à faire cumuler progressivement et durablement son Produit Intérieur brut ».
      Selon Douglas North, le développement économique consiste au passage d’un ensemble d’Institutions archaïques à des Institutions modernes capables d’œuvrer au bien être de la population.
      Ces définitions, sont à l’analyse, trop générale et abstraites. Elles relèvent plus d’un débat théorique, que d’une volonté d’inscrire les actions sous jacentes du développement dans le concret.
      Prenons la définition donnée par François Perroux, les changements mentaux et sociaux dont il est fait allusion ne peuvent pas être appréciés de façon normative dans la mesure où, tout changement renvoie à des acceptations culturelles et religieuses. Par conséquent ils sont difficilement mesurables et peuvent renvoyer à des jugements de valeurs. De même la deuxième partie de la définition qui mise sur le cumul progressif et durable du produit intérieur brut, occulte le fait que cette dernière notion ne saurait suffire pour définir à lui seul le progrès. En effet, en plus des tares soulevées ci-dessus dans l’appréciation de la croissance économique, il ne prend pas en compte des indicateurs qualitatifs comme, le bonheur de vivre en société et dans la solidarité, ou encore les aspirations religieuses. Par ailleurs la notion de cumul progressif et durable est aussi un élément très théorique qui ne définit pas ses normes d’appréciation et ne prend pas en considération un facteur sociologique très important à savoir le progrès démographique.
      S’agissant de l’acception de DOUGLAS North, elle a l’inconvénient de résumer le développement économique à la notion d’Institutions. Ce qui est assez restrictif et difficilement acceptable au regard des jugements de valeurs que cela pourrait engendrer. Les Institutions devant en effet résulter de l’organisation sociale culturelle et religieuse de la société humaine concernée.
      Le recours à ces deux visions du développement montre à tel point la notion de développement économique et sociale présente des difficultés par rapport à son appréciation objective.
      La vision de la Banque Mondiale sur le phénomène ne semble pas mieux éclairer notre lanterne. Cette institution définit en effet le développement comme une combinaison des caractéristiques suivantes : une croissance auto entretenue et durable, des changements structurels dans les modes de production, c’est-à-dire la réduction de la dépendance par rapport aux matières premières et la production des biens et services, un rattrapage technologique, une modernisation sociale politique et institutionnelle, et une amélioration significative de la condition humaine.
      Cette définition, trop large et générale insiste sur les processus transformationnels à opérer, avec sans aucun doute comme grille de lecture les résultats atteints par le monde occidental, considéré comme norme. Elle n’insiste pas beaucoup sur l’impact concret et mesurable que ces différentes transformations devraient avoir sur le progrès de l’humanité. Bref, cette définition privilégie le comment du développement et reste muet sur le qu’est ce que le développement.
      Or tant que les pays africains, les principaux concernés n’arriveront pas à trouver un minimum de consensus autour de la question, il sera difficile de définir une vision claire, apte à susciter l’adhésion des masses autour d’objectifs précis à atteindre.
      Tirant l’expérience des insuffisances notées dans les différentes approches du développement, nous voudrions humblement apporter notre contribution.
      Nous partirons d’un constat de base à savoir que tout processus, toute transformation, devrait partir des ressorts spirituels et du vécu culturel des populations concernées. Et avoir comme finalité intime la satisfaction des besoins exprimés par les êtres humains.
      Du reste, les doctrines enseignées par les religions monothéistes révélées, dont l’impact sur le vécu des populations africaines est réel, insistent pratiquement toutes sur le caractère éphémère de cette vie ici bas et la nécessité d’éviter tout matérialisme à outrance. L’homme étant au début et à la fin de tout développement, la question de base est de savoir concrètement de quoi a besoin l’espèce humaine dans le temps et l’espace pour exercer la mission qui lui est confiée sur terre.
      Au total, nous pensons que le développement, acception que nous voudrions, désormais remplacer par Développement Recentré sur l’Homme (DRH) devrait permettre, quelles que soit les politiques publiques et les stratégies privées menées de répondre aux 7 besoins ci après :
      1- Besoin de manger en quantité et qualité suffisante
      2- Besoin de boire de l’eau potable en quantité et qualité suffisante
      3- Besoin de se soigner correctement
      4- Besoin d’avoir un habitat et un cadre de vie décent
      5- Besoin de se vêtir dignement
      6- Besoin d’effectuer correctement ses déplacements.
      7- Besoin d’avoir une éducation et une formation de qualité.
      Avec en filigrane 2 autres besoins non moins importants, en général satisfaits lorsque les 7 ci-dessus ont trouvé des solutions : il s’agit de la paix et de la sécurité.
      La satisfaction de ces 7 besoins sur lesquels doivent veiller les populations africaines qu’elles soient gouvernantes ou pas pourrait être source de paix pour les sociétés africaines. Elle est de nature à réduire les différentes sources de tension et de conflits dont les germes sont à rechercher dans la persistance de la pauvreté. Une telle satisfaction de ces besoins fondamentaux devrait tout aussi libérer les énergies pour bâtir progressivement et de manière durable des infrastructures dignes de ce nom et satisfaire d’autres besoins secondaires qui pourraient éclore.
      Pour moi une société qui arrive à satisfaire ces différents besoins est tout naturellement développée. Elle n’a pas besoin d’avoir au préalable de grandes autoroutes ou de voies ferrées à grand écartement pour confirmer son ancrage dans le développement. L’homme peut trouver son bonheur et s’estimer être parfaitement heureux avec peu de choses.
      Il est grand temps que nous sortions des schémas tracés, figés, préfabriqués, qui nous ont fait du tort depuis plus d’un demi-siècle. Il est tout aussi grand temps de sortir de ces réflexions trop intellectuelles et abstraites, du genre NEPAD. Evitons les « copier coller » dans nos rapports avec l’Occident. Des questions cruciales comme par exemple l’omniprésence de DIEU dans la conduite de nos sociétés, le rôle non négligeable que joue le facteur « solidarité » dans l’atténuation des difficultés socio économiques de nos pays, notre propre appréciation de la problématique du chômage dans un contexte de forte importance du secteur informel, l’acceptation assumée du rôle reconnu que joue ce dit secteur dans notre système social, la fixation de nos jours fériés, la manière de nous insérer dans la mondialisation, la nécessité d’anticiper dans le cadre d’une démarche prospective les menaces qui pèsent sur nos sociétés, sans oublier l’urgence d’avoir notre propre grille d’analyse sur ce qu’est la démocratie, devraient être traitées avec responsabilité et indépendance.
      Changer de comportement et de mentalité oui. Mais pour nous ce concept signifie plutôt aimer sa patrie et son continent, éviter d’alimenter le phénomène de la corruption, préférer les productions locales à celles importées, respecter les règles établies par la Communauté, recentrer le budget de l’Etat vers la satisfaction des 7 besoins énumérés ci-dessus, développer l’esprit d’entreprise.
      J’exhorte les Gouvernements africains à faire preuve de courage pour s’approprier cette nouvelle notion de Développement Recentré sur l’Humain (DRH) et non plus sur les moyens techniques et technologiques supposés nécessaires à sa réalisation. Des indicateurs de définition des normes et de suivi de l’état de réalisation du Niveau de Satisfaction des Besoins Fondamentaux (NSBF) pourraient être définis à l’échelle sous régionale en fonction des zones d’intégration existantes et progressivement intégrés au niveau continental.
      Pour terminer je voudrais insister sur le besoin d’avoir une éducation et une formation de qualité. Il est très important dans la mesure où l’Homme est au début et à la fin de tout développement. Il en est l’acteur clé. L’éducation et la formation n’ont pas seulement les écoles, les Instituts de formation et les universités comme creuset. Dans la mesure où les pays africains subissent de plein fouet des agressions culturelles induites par un développement exponentiel des outils de communication des pays développés, le rôle de la famille devient indispensable dans l’éducation de base du citoyen. Des matières comme l’éducation civique et la morale de même que l’apprentissage des langues locales dominantes et de l’histoire des héros africains devraient être intégrées aux contenus pédagogiques. Sans oublier des matières comme l’esprit d’entreprise. En outre, le recours systématique au service militaire devrait aussi être exploré car force est de constater que les Forces Armées Nationales font partie des corps sociaux les plus organisés dans nos pays.

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  • Great article, thank you again for wrtinig.

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